Le scénographe du vide : une économie de l’avant garde?
“Je peux prendre n’importe quel espace vide et l’appeler une scène. Quelqu’un traverse cet espace vide pendant que quelqu’un d’autre l’observe, et c’est suffisant pour que l’acte théâtral soit amorcé”. C’est ainsi que Peter Brook défini le commencement de l’acte théâtral.
J’envisage mon travail de scénographe du vide comme une tentative d’apporter un sens au vide. Le vide peut vite s’encombrer de petits riens. La circulation y devient alors difficile et éprouvante. Le vide a horreur de la nature. Vous vous êtes sans doute arrêté devant une pièce où vous avez vécu et qui vient d’être vidé pour un déménagement. Le sentiment de vide fait vite place aux souvenirs qui affluent, le lit agité, le bureau crayonné, la moquette arpentée, les fantômes de la bibliothèque des posters et autres bibelots retiennent un instant l’attention. Vous venez de remplir mentalement l’espace vide et vous vous y sentez bien. Nul besoin d’objets visibles pour vous souvenirs de ces circulations : de votre bureau au lit, du lit à la bibliothèque, de la bibliothèque au bureau, la pendule d’argent… l’espace s’est rempli d’une vie, d’une enfance, d’une rencontre, d’un lieu de vie. Cette pièce deviendra peut être une cuisine, une salle de bain, une chambre pour enfants, une salle de jeux, qu’importe, le vide sera sera rempli par d’autre, mais vous, vous , ce vide-là sera toujours plein de vous….
Mon travail de scénographe du vide me permet d’apprécier en priorité les « qualités du vide ». Ce vide, je tente de le remplir le mieux possible lorsque l’on s’adresse à moi pour un travail bien précis où la construction des espaces se doit de simplement rendre visible leur usage. Représenter une cuisine, une chambre, un salon comme dans la vraie vie peut vite dériver vers un naturalisme qui n’apporte rien aux situations dramatiques.
Ici, mon travail plastique s’attache, au contraire, à construire l’espace comme le comédien monte sur scène pour incarner un personnage.
Ainsi, la cuisine penche, la chambre est à l’envers, les murs dégoulinent de sueurs et d’effroi. Grossières illustrations, double effet de situations dramatiques déjà chargées? Peut-être… mais il est de bon ton de nous faire croire qu’un espace dramatique épuré constitue l’avant-garde d’une nouvelle qualité du vide alors qu’il n’est plus la plupart du temps que la simple conséquence d’une économie chagrine. Car enfin si Peter Brook prend soin de préciser à la fin de sa phrase : “que l’acte théâtral soit amorcé” , c’est que , certes, le simple fait de traverser un espace vide devant un spectateur peut créer une courte situation dramatique, mais qu’elle risque d’ennuyer si cela dure une heure et demie.