La scénographie ou l’art d’habiter ensemble.
Jean VILAR, directeur du TNP et fondateur du Festival d’Avignon en 1947, avait pour but de faire découvrir à tous (ouvriers, cadres, étudiants) le répertoire moderne et classique du théâtre. Pour que le public se sente à l’aise au théâtre et y accède plus facilement, jean Vilar y instaura de nouvelles mesures visant à faire naître la notion de fête et de cérémonie. Ainsi, l’architecte scénographe en charge de la construction des nouveaux théâtres, donna aux spectateurs la possibilité d’habiter une série d’espaces : hall d’entrée, cafétéria, librairie, salle. Mais qu’en est-il de la scène ? Cet immense plateau dans lequel rien n’a été installé. Ne s’agit-il pas d’un oubli ? D’un manque de budget ? Qui habite ce lieu ? Et voilà qu’un homme et une femme traversent cet espace vide. Peter Brook, définit ainsi la base de l’acte théâtral et répond en partie à la question : ce sont les acteurs.
Passons-donc le cadre de scène. A jardin et à cour, une série d’équipements permettent d’actionner les rideaux, les toiles peintes, les projecteurs. Des hommes en noirs disparaissent furtivement au moment d’écrire ces lignes. Coulisses, cintres, dessous, les machinistes sont à l’oeuvre, Ils habitent ces lieux sombres. “Deus rex machina” n’a qu’à bien se tenir. Toute cette machinerie a été soigneusement cachée au spectateur qui attend toujours son rendez-vous, bien installé sur ses fauteuils de velours rouge; il se sent progressivement un peu chez lui. Il est prêt à montrer à ses voisins qu’il pourra supporter trahison, meurtres et passions, qu’il pourra s’émouvoir devant nos deux tourtereaux se promettant la lune.
Jean Genet demanda un jour à des acteurs en répétions :
– « pourquoi marchez-vous normalement sur scène ? au théâtre vous n’allez nulle part ! »
Voilà bien la difficile tache du scénographe de transformer un nulle part en possible référent, d’extraire d’un espace vide un espace cohérent, de représenter un lieu de rendez-vous, d’offrir au comédien un habitat vraisemblable pour notre spectateur (presque endormi). Mais le rideau se lève enfin. Nos deux amoureux transis ont une heure et demie pour parcourir quinze mètres soit quatre vingt-dix minutes pour se rencontrer, se disputer, se retrouver, s’aimer. Le spectateur sursaute et se demande ce que font ces gens dans son salon? successivement intrigué, amusé, intéressé, il s’aperçoit vite que plongé dans le noir , on ne le voit pas et paradoxalement, il se sent lui aussi un peu sur la scène et qu’en purgeant ses émotions il est heureux. C’est ici que la fonction précise des espaces donnés rencontre historiquement le besoin de modéliser non pas seulement la scène, mais l’ensemble du théâtre pour habiter et partager l’action dramatique.
Mais déjà le rideau tombe. Il est tard. La servante éclaire l’espace vide. Nos deux amoureux y cherchent en vain un lieu de rendez-vous. Où aller ? Une chambre, une grange, un bar ? S’allonger par terre?… laissons les décider, on verra ça demain soir autour de 20h30 quand tout le monde sera là.
Olivier Borne